Maurel Etienne François
(1892-1945)
Prisonnier « Nacht und
Nebel » à Wolfenbüttel
Marcelle Saint-Antonin a épousé en 1927
Etienne François Maurel. Les quelques lignes qui suivent regroupent les maigres
informations que nous possédons à son sujet et surtout décrivent les conditions
terribles de sa fin de vie.
Etienne François Maurel est né le 4
septembre 1892 à Albi, où son père était ébéniste.

A l’âge de 27 ans, il est à Paris et
épouse Blanche Marie Eugénie Caron (Le 24 mai 1919 à la mairie de 6ème
arrondissement). Moins de 10 ans plus tard, il est veuf et épouse en secondes
noces Marcelle Saint-Antonin (17 septembre 1927 à la mairie du 6ème
arrondissement). Une fois encore il devient veuf le 23 août 1939.
De cette époque, le témoignage de son
neveu Bernard Saint-Antonin, nous donne quelques informations
complémentaires : il se souvient s’être rendu à Paris en 1938 avec ses
parents et avoir rencontré Etienne Maurel. Il travaillait dans une imprimerie
et devait avoir un poste relativement aisé (Technicien, contremaître ?)
puisqu’il possédait une voiture de marque Citroën (Une photo le montre dans
cette voiture avec son épouse Marcelle et les parents de Bernard). Etienne
profite de l’occasion pour faire visiter « son » imprimerie à la
famille.
Veuf de Marcelle, Etienne se marie pour
la troisième fois un an plus tard avec Maria Mathilde Schorr (le 18 mai 1940 à
Nogent sur Marne).
L’entré en guerre va sceller le destin
d’Etienne. La tradition familiale rapporte, qu’à une date inconnue, le domicile
d’Etienne est perquisitionné et permet la découverte d’un pistolet non déclaré.
Le mystère reste entier concernant la raison de cette perquisition :
dénonciation ? Vérification systématique ? Le détail de la suite est
inconnu mais facilement imaginable : Etienne est arrêté et conduit dans
l’une des trois grandes prisons de Paris : Fresne, Cherche-Midi ou La Santé.

Maurel Etienne et
son épouse Saint-Antonin Marcelle (Avant 1939)
Après une procédure expresse, il est
condamné en vertu du décret « Nacht und Nebel » à être transféré en
Allemagne.
Le
décret « Nacht und Nebel »
En 1941, après
la rupture du pacte germano-soviétique, les communistes se lancent dans une
lutte radicale contre l’occupant et par commettent de nombreux attentats. Pour
enrayer ces actions les allemands promulguent le décret « Nacht und
Nebel » (Nuit et Brouillard ).
Ce texte
indique entre autres : « un
effet de frayeur efficace et durable ne peut être atteint que par la peine de
mort ou par des mesures propres à maintenir les proches et la population dans
l’incertitude sur le sort des coupables. Le transfert en Allemagne permet
d’atteindre ce but ».
Les motifs
d’arrestation sont : les attentats à la vie et coups portés aux personnes,
l’espionnage, le sabotage, les menées communistes, la provocation de troubles,
l’aide à l’ennemi, la détention illégale d’armes y compris les armes de chasse.
Une notion
complète de secret entoure la procédure NN : « Les coupables transportés en Allemagne ne sont autorisés à aucun
contact avec le monde extérieur ».
Le décret
« Terreur et sabotage » de l’été 1944, a pour conséquence d’abroger
la procédure « NN ».
Nous ne savons à quelle date Etienne est
parti en Allemagne et s’il a séjourné dans plusieurs camps. Le site qui
répertorie dans les convois de déportés le classe parmi une petite proportion
de personnes pour laquelle les informations détaillées sont absentes !
Le départ vers l’Allemagne se faisait à
partir de la gare de l’Est. Le transfert ne se faisait pas dans des wagons à
bestiaux mais des wagons cellulaires. Le témoin Césaire Bôle-Richard
raconte : « Le train dans
lequel on nous fit monter était un train cellulaire, une véritable prison
ambulante. Chaque wagon disposait de plusieurs petites cellules ; dans
celle que j’occupais nous étions quatre prisonniers »
Il est fort probable qu’Etienne ait
transité par le camp d’Hinzert à une centaine de kilomètres de Cologne. Les
français condamnés « NN » y arrivaient de Paris par groupes de 50 à
60 personnes et après un séjour de quatre à cinq mois étaient dirigés vers
d’autres prisons en attendant leur jugement.

Wolfenbüttel - Plan
de situation (Source : Google
Earth)
Une chose est sûre, Etienne abouti à la
prison de Wolfenbüttel où il est déporté « NN ». La date de son
arrivée semble postérieure à mai 1943, date d’arrivée des premiers
« prisonniers secrets » selon le témoignage de Jean Luc Bellanger
prisonnier à Wolfenbüttel.
Compte tenu de la raison probable de son
arrestation, Etienne a du être condamné à une peine de travaux forcés. C’était
la sentence ordinaire pour la détention d’armes et l’aide aux soldats alliés.
La peine de travaux forcés représente environ 60% des condamnations prononcées
pour les déportés « NN ». Une incertitude demeure néanmoins pour Etienne, puisqu’il n’a effectué de travaux
forcés mais a été envoyé dans une prison ce qui relevait d’un autre type de
condamnation (20% du total des condamnations). Une explication pourrait résider
dans les capacités d’accueil des différents camps …
Notons qu’en 1942 et 1943, les déportés
« NN » d’Hinzert étaient composés à 40/50% de condamnés pour
détention illégale d’armes.
Dans son article « La déportation
Nacht und Nebel à partir de la France », Guillaume Quesnée écrit :
« au total, 85 à 90% des
arrestations pour détention d’armes concernaient des armes de chasse. Le reste
concerne les armes destinées à la résistance et saisies lors de contrôles
allemands. Les cas de dénonciation ont été extrêmement nombreux. Il faut noter
qu’une grande partie des détenteurs d’armes n’avaient aucune intention de s’en
servir contre les Allemands. Ils ne constituaient donc pas un danger réel pour
l’armée et ses hommes ».

La prison de
Wolfenbüttel
Jusqu’à la date de son décès nous n’avons
plus aucune information. Est-il mort de maladie ? Exécuté ? Seule
certitude, il est décédé le 4 avril 1945.
Notons que le 10, devant l’avancée des
troupes alliées, la majorité des prisonniers fut transférée à l’établissement
de Brandenburg-Görden où ils arrivèrent le 13 avril (plusieurs furent exécutés
en cours de route). Restèrent seuls à Wolfenbüttel quelques malades qui furent
libérés le 25 avril.
Terrible ironie et tristesse de
l’histoire de ce décès qui survient seulement quelques jours avant la
libération du camp ! Quand l’information fut elle connue de la
famille ? Là encore c’est un mystère sachant que le statut même de
« NN » impliquait l’absence totale de communication aux
familles : pas de courrier, pas de colis, pas de visite. Le décès même des
déportés ne devait pas être communiqué. Ce secret était tellement absolu que
des lettres écrites par les condamnés à mort ne furent reçues par leurs
familles que 20 ans plus tard !
La Prison de Wolfenbüttel
La prison de Wolfenbüttel est qualifiée par certains de
« prison abattoir » car de 1937 à 1945 au moins 516 personnes ont été
exécutées la tête tranchée à coup de hache ou par la guillotine !

Ci-contre : Photographie de la
guillotine de la prison de Wolfenbüttel.
Le témoignage de Jean-Luc Bellanger
particulièrement prenant indique : "On exécutait un condamné tous les
trois jours en moyenne, une cloche sonnait mais cette pratique avait été
abandonnée car son effet dans la prison et alentour était déplorable".
Ici, le 3 décembre 1943, une dizaine de résistants français de Poitiers, le
Groupe Renard, du nom de l'avocat qui dirigeait le réseau, ont été exécutés de
18 heures 34 à 18 heures 52.
Les condamnés à mort étaient regroupés au
rez-de-chaussée du bâtiment gris, (...) ils marchaient jusqu'au bâtiment de la
guillotine, après un bref trajet en plein air."
Jean-Luc Bellanger évoque aussi les
terribles souvenirs de trois années d'exécutions, de morts d'épuisement, de
maladies incurables comme la tuberculose. "Au début d'avril 1945,
lorsqu'il devint évident que les Alliés approchant, la prison serait bientôt
libérée, les gardiens prirent peur et, de crainte de voir la guillotine servir
contre eux, ils la démontèrent et en cachèrent les éléments en différents
points de la prison."
Les prisonniers en retrouvèrent les
pièces et exposèrent cette guillotine dès le 11 avril 1945.
Les prisonniers/déportés de Wolfenbüttel
étaient affectés à la fabrication d’instruments d’optique (jumelles, lunettes)
pour la Wehrmacht et pour le compte de la société Voitgländer de Braunschweig
(Un contrat datant du 12 novembre 1943 entre la firme Voigtländer & Sohn et la prison
de Wolfenbüttel pour l'utilisation de prisonniers nacht und nebel à des travaux
d'assemblage).
Notons, sans polémique, que cette
entreprise existe toujours en 2010 et que la rubrique historique de son site
internet jette un voile discret sur le contrat qui le liait avec la prison pour
faire travailler les déportés…
Le très bon article rédigé par Sabine
Renard-Darson, suite au témoignage de Jean Luc Bellanger, donne de nombreuses
indications sur la vie au quotidien dans la prison. J’en reprends ci-dessous
une grande partie :
La tenue des prisonniers consistait en
une salopette et pantalon en toile bleu foncé, avec des sabots (pantoufles à
semelles de bois). Les effets personnels des prisonniers étaient déposés
au Magasin d’Habillement de la prison.
Les prisonniers « NN » étaient
distingués des types de prisonniers par deux lettres NN peintes en blanc au dos
de leur veste. Marqués ainsi comme adversaires de l’Allemagne ils étaient
généralement la proie des vexations des soldats allemands. A d’autres époques
ou d’autres lieux les prisonniers « NN » portaient un sigle cousu sur
le devant de la veste comme les juifs portaient l’étoile jaune. Ce sigle était
composé du triangle rouge des prisonniers politiques (communistes, résistants)
avec un F pour signifier l’origine française et entouré de part et d’autre les
lettres N pour Nacht und Nebel. (Le sigle ci-contre a été modifié par l’ajout
de la lettre F)
Les prisonniers étaient dans des cellules
de 2 m 50 x 4 m. soit 10 mètres carrés et 2 m30 de hauteur avec 1 fenêtre de 1
m 2 et 1/2 fenêtre formant vasistas. Ils avaient 1 lit avec sommier métallique
et un matelas en 3 pièces, 1 drap, 1 sac en toile, 2 couvertures. La cellule
était équipée d’1 cuvette W.C, avec eau courante, 1 robinet et 1 armoire
Ci-contre,
une cellule de la prison.
L’emploi du temps était extrêmement bien
rythmé :
-
5h ½ -
ouverture des cellules - balayage – petit déjeuner avec ¾ de litre de café - 2
tranches de pain de 100 gr. chacune.
-
7 H. -
travail pour l’usine d’optique Voigtländer.
-
12 H. -
retour en cellule - - déjeuner : 3/4 d’heure avec 1 litre de soupe ou pommes de
terre, 1/2 litre de légumes
-
12 H 45 -
reprise du travail jusqu’à 17 H. 30
-
18 H. -
cellule - dîner avec 3/4 de litre de
soupe et 1 tranche de pain de 100 gr et deux fois par semaine 300 gr. de pain,
50 gr. de margarine et 50 grammes de saucisson.
-
19 H. 30 -
coucher.
Le plan de la prison

1- Bureaux - 2- Magasin d’Habillement -
3- Chaufferie - 4- Terrain de sport (en culture depuis 1940) - 5- Cuisines,
écuries, ateliers, jardins - 6- Bâtiment rouge (Maison II) - 7- Bâtiment gris
(Maison l) et 7 Bis - infirmerie et église, transformées en ateliers d’optique
pour la Maison Voigtländer où travaillaient les détenus. - 8- Vieux bâtiment
(Maison III ) - 9- Infirmerie - 10- Bâtiment de la guillotine.
Plan du bâtiment de la guillotine

I – Entrée - 2 - Cellules des condamnés à
mort (utilisées seulement quand il y avait qu’un ou deux condamnés - ce qui ne
fut pas le cas pour l’affaire de Poitiers. Une grille sépare dans chaque
cellule, le condamné de son gardien. - 3 - Salle de la commission. - 4- Table
autour de laquelle siégeait la commission (table drapée de noir) – 5 - Tenture
noire séparant la salle de la commission de la salle de la guillotine. - 6-
Salle de la guillotine. - 7- Guillotine. - 8- Salles annexes.
Sabine Renard-Darson donne le détail du
régime des condamnés à mort et du « cérémonial des
exécutions » :
Le condamné est seul dans sa cellule nue,
menottes aux mains. Il couche par terre sur un matelas avec 2 ou 3 couvertures.
Les châssis du lit et l’armoire sont enlevés. Il se promène 1/2 heure par jour.
Le délai qui s’écoulait entre les jugements et les exécutions était toujours
long (plusieurs semaines à plusieurs mois)
Les condamnés étaient prévenus du rejet de leur pourvoi vers 15 ou 16 h. Ils
recevaient des cigarettes et des sandwichs, et vers 18 h. de la soupe à
volonté. Les portes de leurs cellules restaient ouvertes avec un gardien pour
s’occuper de chaque condamné. Le moment venu, vers 20 h, des gardiens
emmenaient séparément chaque condamné par le couloir de la cave et sa sortie
(11) jusqu’à la maison de la guillotine.
Ils arrivaient dans la salle 3 (voir plan du bâtiment de la guillotine). Là le
procureur lisait la sentence. Pendant ce temps, les 2 gardiens reculaient d’un
pas et étaient remplacés par les aides bourreaux. La sentence lue, deux autres
gardiens écartaient la tenture noire (5) et les aides poussaient le condamné
sur la guillotine. Le tout était fait en 1 minute 1/2 à 2 minutes. Les
condamnés avaient les mains dans des menottes et derrière le dos, la veste
seulement jetée sur les épaules. Les corps des suppliciés étaient immédiatement
mis en terre, chacun dans un cercueil.
Références :
-
Témoignage
de Jean-Luc Bellanger, ancien prisonnier de la prison de Wolfenbüttel de 1942 à
1945 et employé à la bibliothèque et à l’infirmerie. numéro de Septembre 1991
du « Patriote résistant », article et témoignage repris par de
nombreux sites internet et en particulier les deux références suivantes)
-
http://www.vrid-memorial.com/afficher/rubrique/3/resistance/article/64/LA-PRISON-DE-WOLFENBTTEL.html. Article rédigé par Sabine Renard-Darson
en janvier 2008 dans « le réseau Renard »
-
www://Sevres-pratique.com/docs/wolfenbuettel.html. Article de Frédéric Puzin de 1995 (?)
-
http://www.bddm.org/: site de . Dans la base de données des déportés, on trouve le nom
d’Etienne Maurel avec quelques informations et en particulier son statut de
prisonnier « NN »
-
http://www.didierhays.com/p/la-tragedie-de-la-deportation.html
-
http://users.skynet.be/bs136227/src2/Bulletin/84_a.pdf: article très complet sur la déportation
« Nacht und Nebel » au départ de la France, ses origines, la
procédure et la promulgation du décret, par Guillaume Quesnée
-
http://www.tracesdhistoire.fr/resources/Digests+NN+de+France+1.pdf:
article sur le décret Nacht und Nebel rédigé par Paul Burlet en 2005
-
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nuit_et_brouillard
sur le décret Nacht und Nebel
-
http://pallas.cegesoma.be/pls/opac/opac.search
pour la référence du contrat passé entre l’usine Voigtländer et la prison de
Wolfenbüttel
-
Le parti national 1940-1945 . le récit
d’un condamné à mort « Nacht und Nebel ». MICHOTTE Georges
-
Nuit et Brouillard à Hinzert, Joseph de
La Martinière, Tours, Université François Rabelais, 1984, 396 pages.
-
Les chemins de la mémoire, par Bôle-Richard Césaire, paris, édition des
écrivains, 1998.
-
Nuit et brouillard NN par Karol Jonca et Alfred Konieczny)
-
Nuit et Brouillard, film d’Alain Resnais de 1956