La Cahier de la Soeur Julie - Gerbéviller - 1914

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Le texte ci-dessous est inédit. Il a été retrouvé dans les documents familiaux lors de la succession de mes grands-parents: c'est la retranscription par Charles Séguier d'un cahier tenu par la soeur Julie, religieuse de St Charles de Nancy, entre le 4 août et le 19 septembre 1914.

La soeur Julie, Amélie Rigard, est née en 1854. Au début de la guerre 1914, la soeur Julie se trouve à Gerbéviller où sa congrégation l'a chargé de la gestion de l'hospice. Au tout début de la guerre 14-18, le village est investi par l'armée allemande. "La Sœur Julie est restée dans son hospice qui accueille des soldats blessés et des vieillards. Elle tient tête aux occupants et obtient que l'hospice ne soit pas brûlé et qu'aucune des personnes sous sa protection ne soit l'objet de violences".

Son action héroïque est reconnue et récompensée par l'attribution de la légion d'honneur que lui décerna en mains propres le président de la république, Raymond Poincaré, en décembre 1914.

Pour mieux connaître soeur Julie et les débuts de la guerre à Gerbéviller, je vous invite à visiter les trois sites suivants:
http://pagesperso-orange.fr/jmpicquart/SoeurJulie.htm
http://www.greatwardifferent.com/Great_War/Lorraine/Gerbevillier_02.htm
http://www.14-18enlorraine.com/Gerbeviller.html


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Attention! compte-tenu du caractère inédit de ce texte, il vous est expressément demandé de citer vos sources pour tout ou partie de la reproduction du contenu de ce texte et ce sous la forme suivante: "www.st-antonin.fr - archives Busquet"

                                     

Le cahier de Soeur Julie: 4 août - 19 septembre 1914



À Gerbéviller.

4 Août - Passage du 16ème Chasseur. Cavalerie. Stationne 3 jours (avant-postes)

10 Août - Passage de plusieurs régiments d'infanterie et d'artillerie. Hussards, etc..

11 Août - Affluence de militaires pour se faire panser. (56ème infanterie ) Aujourd'hui nous  avons 7 militaires blessés et malades.

14 Août - Le 48ème d'artillerie et le 120ème d'infanterie partent sur la frontière. On attend une bataille aujourd'hui.

15 Août - Le canon a tonné toute la journée. Nos troupes ont avancé de 25 km du côté de Vrancourt et Blamont. cherchent à démolir le pont et atteignent le petit séminaire aujourd'hui occupé par l'hôpital.

17 Août - On annonce que Malance a été tué à Vrancourt d'une balle au front.

18 Août - Notre armée refoule l'ennemi en Alsace. Les bouchers militaires qui tuent ici 36 bœufs par jour, pour l'armée, quittent Gerbéviller et vont se fixer près de Blamont. Cette viande est conduite par 7 autobus de Paris.

19 Août - Passage de 420 infirmiers militaires avec leurs voitures d'ambulance. Beaucoup de prêtres brancardiers. Nous en avons logé 6 dont 2 curés dominicains rédemptoristes, le R. P. Guignot, deux professeurs du grand séminaire d'Autun.

20 Août - Passage d'un régiment d'infanterie, le 13ème venant du Puy de Dôme.

21 Août - Les munitions qui étaient conduites, la veille, à la frontière, reviennent. 400 voitures. Défaite de 3 Régiments à Rohrbach  .

22 Août - Depuis le matin jusqu'au soir, tout un corps d'armée, le 16ème, venant de Sarrebourg est passé devant la maison. Les blessés abondent. Ceux qui peuvent supporter la voiture sont dirigés sur Charmes. Les plus malades sont à la maison. Tous les lits sont occupés. Le Docteur Louvier fait les gros pansements, les sœurs pansent les petites blessures ; nous réchauffons les malades par de bons cordiaux.
De 9 heures du soir à 2 heures du matin, les voitures de blessés s'arrêtent devant la porte.
Sœur Rosalie donne à manger et à boire du lait à ceux qui réclament. Nous continuons les pansements. Minuit : les chasseurs de Lunéville  passent et réclament des logements pour les militaires.

23 Août - A 4 h du matin, ils partent. Tous nos malheureux blessés veulent partir aussi, on cherche des voitures pour les conduire ; on ne trouve pas facilement, les chevaux étant réquisitionnés par la troupe. Il ne nous en reste qu'un qui a la jambe cassée. A 8 h , nous blanchissons les lits évacués. Les gens de Gerbéviller s'affolent et s'en vont à l'aventure. On vient nous supplier de garder ici des vieillards, hommes et femmes. Il y a du monde partout. Mais les boulangers n'ont plus de pain. Que faire? On ne sonne plus les cloches pour la messe. 8 h ½ Le canon gronde du  côté de Remonville, on dit que le fort de Manonviller est pris par l'ennemi. La gare est déserte. La gendarmerie aussi. Nous nous confions à la Bonne Providence. On se bat entre Lunéville et St Nicolas du Pont. Les ponts de Gerbéviller sont gardés par des chasseurs  . M. le Docteur Louvier est parti pour Troyes et nous sommes débordés par les blessés de guerre. M. Labreuvoir veut bien faire l'intérim . Nous avons un militaire très malade d'une pneumonie.

Lundi 24 Août - L'ennemi bombarde la ville de Gerbéviller sans défense, de 9 h du matin jusqu'à 5 h ½ du soir. Les maisons flambent par l'explosion des obus. Entrée en musique. On s'arrête à la mairie déserte, on vient jusqu'à l'hôpital, on demande s'il y a des soldats français ? Oui, mais des blessés sans armes. Les chefs parlementent et visitent nos malades auxquels ils parlent durement. Le soir, les soldats incendiaires pillent et mettent le feu. Quel moment à passer ! Mon Dieu ! Est-ce un rêve ? Je demande à ce qu'on épargne notre maison et offre de soigner de notre mieux les militaires blessés. Le lendemain, Mardi, les blessés allemands arrivent :On se méfie des soeurs et on  prend des airs menaçants. Canonnade aux environs de Rozelieures  , 250 blessés environ aujourd'hui soir. Quelle fatigue ! Car il n'y a plus de major ; ce sont les sœurs et quelques infirmiers qui passent.

Mercredi 26 Août - Bataille. Nous sommes entre les deux feux. Tout le monde dans les caves. Point de nourriture Nous manquons de pain depuis lundi, tout étant incendié. On prend 21 otages, personnes recommandables de Gerbéviller. M. le Curé Vansat est accusé injustement d'avoir installé des civils au clocher, pour tirer sur l'ennemi. Depuis, l'on ne l'a pas revu. Son église est brûlée. Les cloches tombées sur le portail.

Jeudi 27 Août - Feu nourri d'artillerie de 9 h du matin à 8h du soir. Les blessés abondent. M. le Docteur Labreuvoir s'offre de panser les malades à notre grand contentement. Il succombe à la fatigue vers minuit et nous continuons le travail pour tout le monde. De plus, les personnes sans abri se réfugient à l'hôpital. Il y en a certainement plus de 200.

Vendredi 28 Août - Les obus allemands ne cessent de tomber. Plus de vitres aux fenêtres. L'artillerie française est à Haudonville. Les Allemands à 10km environ. Le soir, les Français arrivent avec de nombreux blessés. Quelle boucherie humaine !  Tout le monde se met à l'œuvre pour les pansements. Hélas! L'ennemi a déjà employé la presque totalité de nos provisions d'ambulance. Parmi les brancardiers, un prêtre, M. Bernard , vicaire à Gex, console et donne les secours spirituels aux malades et aux mourants. Quatre meurent dans la nuit. Le St Sacrement est peut-être à l'église paroissiale : il faut songer à s'en assurer. Vers minuit, les pansements sont terminés. Nous allons voir ce que devient le Saint-Ciboire. Monsieur le curé aura-t-il eu le temps de l'enlever avant l'effondrement du clocher? M. l'abbé Bernard, deux militaires armés et moi allons essayer de préserver N .S. de la profanation. Le Tabernacle a été percé de 15 balles. La porte n'avait pas cédé à cause du contrefort. Il a fallu une heure pour ouvrir la porte. Le Ciboire est troué! Les Saintes Hosties sont cassées par les balles. Quel travail lugubre, mon Dieu! Quelle peine! L'orgue est détérioré . Une cloche à demi fondue est tombée sur le portail. De grosses pierres de la voûte sont dans l'église. Les bancs sont intacts. La sacristie aussi. Actuellement, notre Seigneur est renfermé dans une armoire, au réfectoire. Notre chapelle ayant été détériorée par un obus qui est tombé sur le clocher.

Samedi 29 Août - 8h du matin. La canonnade commence d'une façon formidable. Notre artillerie est placée sur le haut de la ville. C'est un duel d'artillerie qui commence. Que de sang va être répandu aujourd'hui et quelles angoisses de se trouver ainsi au milieu de la mitraille! Nos gens sont évacués dans les caves voûtées du château qui n'est plus qu'une ruine ainsi que la chapelle et aussi à St Louis. On leur apportera à manger. L'hôpital est affecté aux militaires, par ordre de l'autorité militaire. Les chefs sont très reconnaissants des soins que reçoivent les malades. On fait la soupe et la buanderie. Aujourd'hui, on a pu cuire du pain, dans notre chambre à four, avec un peu de farine échappée aux incendiaires. Chacun en aura un petit morceau. Il y a aussi des pauvres dans la cave de la brasserie. Nos vaches sont encore vivantes à cause de leur lait. Voilà un obus qui vient de tomber sur le toit des écuries en démolissant un coin du toit. On vient de trouver un boeuf abandonné. Il est tué. Je le regrette. Il nous aurait peut-être été d'un grand secours pour nous aider à sortir de Gerbéviller. Nous n'avons plus le cheval, il était classé et est parti quand la mobilisation a été faite. On évacue vivement nos blessés allemands et français : 4 sont morts cette nuit. Que ce soir, nous en verrons des malheureux!

Dimanche 30 Août - A 4h½ du matin, messe à notre chapelle, sous les obus. En voilà un qui éclate sur la porte. Huit personnes sont blessées. Aussitôt après avoir reçu la Sainte Communion, nous quittons la chapelle et nous rentrons dans la cave. Notre dernière heure est-elle arrivée? On prie avec ferveur. Je ne sais que faire avec notre personnel. Où aller? On ne trouve plus ni chevaux ni voitures pour nous transporter. Il nous faut donc rester ici bon gré mal gré. Le lundi 24, voyant les monceaux de ruines s'amonceler, un instant nous avions quitté la maison, forcément nous y sommes revenus, ne pouvant traverser les postes allemands, ni emporter quelque nourriture. Dimanche toujours, le feu prend chez Melle Pécourt. Beaucoup de blessés! Canonnade tout le jour.

31 Août - La canonnade recommence à 2h du matin ; les obus passent au-dessus de nos têtes. Passage de nos troupes. Cela voyant, l'ennemi nous envoie une dégelée de mitraille. Panique de tout le monde. On passera la nuit dans les caves. Le St Sacrement sera avec nous. Confiance!

Mardi 1er Septembre - Le canon gronde à 3h du matin. Il semble plus éloigné. Si seulement notre artillerie quittait ses positions, près du château, nous ne serions plus sous la mitraille. Hier, deux obus sont tombés dans la cour de l'asile. M. l'abbé vient de nous donner la Ste Communion. On transporte les blessés, la nuit. M. le général Xardel, natif de Nancy, est venu nous visiter. J'ai demandé de conserver nos infirmiers si dévoués. Sœur Hildegarde est souffrante. Sœur Rosalie aussi, de la fatigue et des émotions.

Mercredi 2 Septembre - 1h½ du matin. La bataille commence, nous préparons des bandes, il en faut beaucoup. Nous évacuons nos blessés sur Charmes et Bayon.

Jeudi 3 Septembre -4h du matin. Sœur Rosalie a des coliques. Le major veut qu'elle se repose et la cuisine ne chôme pas, tant s'en faut. Passage de troupes. Un régiment prend la place de celui qui est sous le feu depuis 4 jours. M. le Commandant Marty vient nous remercier, avant son départ, du bien que nous faisons à ces soldats. Il paraît ému. Un aumônier militaire vient prendre des informations sur le fonctionnement de la maison et s'interesse à nous faire ravitailler. Il est surpris que nous fassions tous les frais de la nourriture et du logement. 5h du soir. Quelle journée terrible! Les obus ont plu sur le parc de M. de Lambertye, l'ennemi croyant que nos troupes s'y sont cachées. A 4h, un obus tombe sur notre hôpital, à côté de la chapelle, en arrière sur le jardin. Je prends le parti de quitter Gerbéviller, avec tous nos gens, mais que cela paraît difficile! Il y a tant d'infirmes et que faire? 6h du soir - M. Liégey, appelé, vient nous voir et m'engage à rester. M. le Commandant Marty insiste pour que nous restions au poste. Nos sœurs sont  du même avis. Je me soumets. 6h½ du soir - St Louis est incendié! Un vaste brasier le dévore. Quel gros malheur! Deux factionnaires sont de planton pour examiner que les flammes n'atteignent pas l'hôpital. Que d'angoisses!

Vendredi 4 Septembre - 1h du matin. Les blessés abondent, les uns sont depuis 3 jours sur le champ de bataille. Affaiblis, on les panse et leur donne de bons cordiaux, bouillons etc…. 1h½ - Nos troupes passent ; le 81ème d'Infanterie remplace le 122ème. Nos gros canons tonnent et effrayent tout le monde. Notre sœur Rosalie, cuisinière, est toujours bien souffrante et personne pour faire la cuisine de 250 personnes et autant de passants militaires qui ont faim. On tombe de sommeil. De jour, il faut se dévouer au milieu des obus. Le soir, les malheureux blessés arrivent et implorent secours! Nous avons deux décès. Quelle providence d'avoir avec nous M. l'abbé Bernard de Gex! Il remplit son ministère près de tous. On se confesse, on communie jusqu'alors avec les Stes Espèces qui ont été percées de balles ennemies le 24 Août. 5h du matin. M. l'abbé dit la messe dans notre chapelle. Nous recevons la Ste Communion. C'est notre force et notre consolation. 8h du matin. Nous préparons le repas de notre entourage. Me voici encore marmiton. Nos brancardiers et infirmiers nous aident dans la mesure du possible. Je demande à partir. L'ancien maire Liégey, le Ct Marty, M. le Gal Xardel, nous engagent à rester au poste. Du reste, dans les chemins, pleuvent les obus ; nous sommes exposés comme sur le champ de bataille. Nos blessés ont soif, on leur prépare des rafraîchissements.

Samedi 5 Septembre - 1h du matin - Une bataille s'engage et vivement. Les balles sifflent dans la cour. Le canon tonne de part et d'autre. Notre dernière heure et-elle arrivée? Nous prions dans les caves où tout le monde se réfugie en pleurant. 5h du matin - M. l'abbé nous communie après avoir fait la préparation à la Ste Communion. De 7h à 8h, un peu d'accalmie dans la lutte qui reprend vivement à 8h½ jusqu'à 10h½. Quel fracas! Tout croule autour de nous, tout casse. Nos pauvres blessés se traînent pour venir, jusqu'à nous, demander secours. Quelle boucherie! Du sang, du sang partout. L'ennemi avance, nos troupes repassent devant l'hôpital. Dans quelques minutes peut-être, l'ennemi arrivera et que va-t-il se passer? Notre infirmier prêtre veut rester au pose  pour accomplir son ministère près de nos mourants qui sont nombreux et dont les membres sont hachés et pantelants par ces engins meurtriers. Il  panse aussi bien les plaies avec un de ses camarades. Nous attendons les évènements en tremblant. La journée est terrible! Duel d'artillerie qui actionne au-dessus de Gerbéviller, à 5h du matin, l'ennemi entre de nouveau ici. Je demande qu'il ne me soit fait aucun mal. Ils me demandent des œufs et de la viande, etc… Je donne volontiers. Affolement des habitants de Gerbéviller. Ils veulent rester tous près de nous. Notre sœur de cuisine est malade. Je fais la cuisine. Nous sommes à la gueule du canon. Je croyais reposer quelques heures au réfectoire, mais il est 9h du soir et voilà déjà le canon qui se fait entendre. La fusillade suit comme hier. Nous n'aurons plus le temps de courir en cave à cause des balles qu sifflent dans la cour.
 
Dimanche 6 septembre - 5h messe. Communion. La nuit a été relativement tranquille. On a pu dormir deux heures. Les provisions d'ambulance s'épuisent. Duel d'artillerie, toujours. C'est terrible. Nous avons 125 canons placés à 200 mètres de notre maison. De là, aller et retour des obus. Pourvu qu'il n'y ait pas d'arrêt. Notre maison est relativement bien conservée, cependant les tuiles sont un peu brisées. Depuis 2h du soir, on a un peu d'accalmie, on respire. L'ennemi est refoulé à 4 ou 500 mètres. 11h du soir - Huit voitures arrivent chercher les blessés. Cela permet de changer le linge qui ne peut être lavé faute d'eau et de tranquillité. On est constamment en danger de recevoir des obus. On demande des provisions pour l'ambulance à un major qui est à Clayeux.
                       
Lundi 7 septembre - Nous remercions la Bonne Providence de nous avoir jusqu'alors préservés. 5h - Ste Messe. Quel bonheur d'avoir près de nous un prêtre aussi dévoué. Trois décès cette nuit. M. le général du 16ème corps vient de nous donner des ordres pour faire évacuer tous les civils, 3 ou 400 qui sont dans les caves. 1h du soir - Un de nos vieillards emmène à l'hospice de Bayon quelques objets de la Communauté et les pauvres de la maison qui peuvent marcher. Nous partirons ce jour, si nous avons des voitures. On croit à une grande bataille pour les jours suivants et peut-être faut-il quitter cette maison qui va être livrée au pillage. Que faire, Mon Dieu! 7h du soir - L'autorité militaire envoie des ambulances pour évacuer tous les civils de Gerbéviller. Le colonel vient faire visite aux blessés qu'on va conduire sur Bayon. On en rapporte quelques uns que l'on trouve par ci par là. Je demande s'il faut partir aussi! Si nous partons, la maison sera livrée au pillage car il y a encore des rapaces qui se cachent pour essayer de voler. Que ferons-nous de tout ce bétail qui va périr de faim? Le colonel, homme énergique, nous assure que tant qu'il sera ici, le Allemands seront refoulés et nous engage à rester au poste, nous assurant qu'au dernier moment, il nous enverra des automobiles, s'il y a danger pour nous. Tous nos pauvres et les pensionnaires sont partis à l'exception de Mme Humbert qui n'est pas transportable (elle a été touchée par un éclat d'obus dans sa maison et est restée ici) Marie Thouvenin est restée aussi pour lui donner des soins. Tout le reste est parti!

Mardi 8 Septembre - (Nativité) On parle de faire sauter les ponts de la ville. Les Allemands vont être furieux et gare! Je cherche un automobiliste pour nous faire partir le plus tôt possible. 8h - Le colonel vient voir la maison et annonce des blessés, nous promet protection, félicite le courage des sœurs et dit que la situation n'est pas aggravée. Nous sommes actuellement 40 personnes à la maison, sans compter les malades. Il y a une quantité de morts près de la brasserie, civils, allemands et soldats français. Le génie n'ose venir par ici à cause des obus allemands qui tombent sans crier gare et cependant, il presse d'enterrer ces malheureux. M. l'abbé vient de dire sa messe à la chapelle, mais par prudence, il rapporte le St Sacrement dans une armoire du réfectoire de la communauté. Quelle force il nous communique. Dieu avec nous! Le 30 août, nous avons eu la messe sous une pluie d'obus. C'est inoubliable. Notre maison  a reçu deux obus, un sur le confessionnal, l'autre chez les vieillards. Un obus est aussi tombé à l'église paroissiale, sur le confessionnal de M. le curé. Le Diable n'aime pas les confessionnaux parait-il, comme si on ne pouvait pas se confesser ailleurs. Notre bon M. le curé a été pris en otage le 24 août, nous n'en avons pas de nouvelles. Serait-il fusillé? Son église est dans un triste état. Que c'est donc malheureux!
 
9 Septembre - Ce matin, il y a eu une petite fusillade d'avant poste. Un blessé nous arrive. 3h du soir - Jusqu'alors journée relativement paisible. Un major vient de nous dire de nous préparer. Un mouvement d'action doit commencer à 4 heures. Vite, on prépare le repas frugal du soir ; on soigne le bétail. 4h - L'action commence. M. le colonel Foulq ou Fouquet prend l'offensive. C'est terrible! Tout le monde en cave! Deux bombes tombent à côté de notre maison, pendant que nous récitons le chapelet et les litanies de la T.S. Vierge et la prière " Sainte Vierge Marie Mère de Dieu ". Les blessés sont apportés. 4 morts. Les autres sont évacués à 9h du soir après avoir reçu les  premiers soins. Pour la première fois, nous sommes ravitaillés par l'armée ; personne n'osant venir à nous, pendant  le jour, à cause des obus. M. le général de Castelnau envoie sa reconnaissance à la communauté, à cause des services rendus à l'armée. Que le bon Dieu en tire sa gloire et l'honneur de notre bien aimée congrégation. 11h du soir - Le canon français parle encore, mais un peu plus loin. Cela nous parait moins terrible! Nos sœurs sont allées se reposer. J'ai envoyé sœur Jeanne Maillard, à Bayon, avec ses pensionnaires, chez nos sœurs, lui disant que s'il est nécessaire qu'elle soigne ses malades là-bas, qu'elle y reste quelque temps.
                                       
10 Septembre - Duel d'artillerie, accalmie de quelques heures. 6 heures - Canonnade ; les grosses pièces allemandes font rage, démolissant de chaque côté de nous. La bonne Providence nous garde! 11h½ du soir - Orage! Pluie abondante, l'eau pénètre partout. Les Allemands profitent du mauvais temps pour prendre l'offensive. De là, alerte, fusillade et feu d'artillerie. C'est fini à 1h du matin. Ste Messe à 6h et soins aux blessés. M. le général Xardel et M. le colonel sont venus nous faire visite et nous présentent leur reconnaissance. Plusieurs officiers supérieurs demandent à voir le Ciboire, troué de balles, qui était à l'Eglise paroissiale. Les Allemands ont tiré à bout portant sur le Tabernacle! 1h½ - On vient nous dire qu'une action va avoir lieu. On se dépêche de faire l'indispensable et tous, nous allons prier dans les caves. Nous avons confiance dans la divine Providence, mais quel moment redoutable! Les Allemands sont à 300m d'ici! L'action commence à 2h du soir. Il est  6h½, elle n'est pas complètement terminée, quoique ralentie. De cette bataille, nous avons déjà 100 blessés. Les moins malades partent à pied pour Clayeure. On téléphone pour qu'on envoie au plus tôt des ambulances suffisantes pour évacuer les malades. Il y en a encore beaucoup, sur le champ de bataille, qu'il faut aller chercher ce soir. En attendant, on donne des boissons aux malades, selon leur état, cordiaux, rafraîchissements. Quelle bousculade! M. le colonel Foucq veut faire reculer les Allemands qui sont retranchés dans le bois de la Reine, route de Lunéville. Quel sera le résultat de l'action ? On avance légèrement avec beaucoup de pertes. 130 blessés arrivent toute la nuit. Le matin du 11 Septembre, un peu de repos jusqu'à 8 heures. On communie quelques militaires. On enterre les soldats décédés à notre ambulance. Les voitures insuffisantes en ont évacué seulement 25 ou 30. A 10h du matin, les obus allemands ne cessent de siffler au-dessus de nos têtes. Pendant ce temps, nos majors donnent des soins dans nos salles d'ambulance et nous avons le plaisir de constater qu'ils ne laïcisent pas notre poste de secours.

Voici les noms inscrits aux portes :
Salle St Charles: Notre-Dame, St Vincent de Paul, St Joseph
Salle Sts Côme et Damien: St Louis, St Jean
Et la salle des pansements dénommée St Fulcran , patron de l'église cathédrale de Lodève.

Vendredi 11 Septembre - Toujours, toute l'après-midi, canonnade. Vers 5 heures, feu nourri, fusillade, attaque des Allemands. Voyant la pluie, ils croient les Français retirés. Ne s'attendant pas à une attaque, les premières lignes  se replient sur les deuxièmes, les deuxièmes sur les troisièmes. Les blessés français abondent, dont un capitaine, gravement blessé à la tête et un lieutenant. On attend le service des ambulances. 155 blessés! On ne sait plus où mettre les pieds dans la salle. On installe les moins malades dans la grange de nos voisins. On leur porte le nécessaire Hélas! Il pleut. Notre toiture est à claire-voie. L'eau pénètre dans nos chambres. Demain matin, on verra si on peut parer ce grand ennui. On n'ose monter sur le toit à cause de l'ennemi qui croirait à des signaux et enverrait des obus. Que faire ? Nos sœurs paraissent découragées.

Samedi 12 Septembre - La pluie cesse vers 3h du matin. Le canon tonne au loin. J'ai oublié de marquer que le colonel Foulq m'a envoyé mercredi soir, une statue en bois de St Antoine, je crois, statue qui était tombée d'une église en ruines. Pas de messe. Communion donnée à la communauté, au réfectoire. A 8h du soir, visite de M. le général Xardel et de M. le colonel Foulq qui annoncent une victoire dans le Nord, à 10 km de Paris. 160 000 Allemands cernés. Par suite, l'ennemi a quité Fraimbois hier soir, à 8h, après avoir envoyé à Gerbéviller, une salve de détonation de leurs canons comme adieu. M. le commandant Marty se trouvait au passage à niveau, entouré d'éclats d'obus, il est sorti sans mal. 11h du matin - M. le commandant Marty vient nous demander du pain frais et un peu de vin. Il est souffrant. Il demande aussi un lit pour le soir. Depuis 3 semaines, il se couchait dans les retranchements des bois. 1h du soir - Nos troupes descendent devant l'hospice, d'abord l'infanterie, l'artillerie et les cavaliers. Voici M. le général Tavernier qui commande le 16ème Corps d'armée et son Etat-Major. Il s'arrête en face de l'hôpital, demande s'il y a beaucoup de blessés, leur fait annoncer sa visite pour le soir. Il demande comment se portent les sœurs. Je lui fais connaître mon gros souci, qu'il pleut, la toiture menace ruine par suite de l'explosion des obus. Il me promet de nous envoyer au plus tôt des ouvriers du génie pour établir ce toit, car la saison s'avance. Le soir à 4 heures, arrivent 5 autos pour évacuer les blessés à l'exception des mourants. Nous avons eu 5 morts aujourd'hui. Il y a un capitaine dans l'état voisin de l'agonie. M. l'abbé lui donne les secours de la religion. Arrivée d'infirmiers parmi lesquels un jeune prêtre et un jeune religieux. Demain dimanche, nous aurons deux messes. La 1ère, messe de communion pour le nouveau prêtre arrivé. M. l'abbé Bernard nous fera une préparation à la Ste communion. Puis après aura lieu la messe des soldats, à laquelle assisteront les majors et officiers
   
Dimanche 13 Septembre - M. le commandant Marty, les majors et de nombreux soldats ont assisté à la Ste Messe. On respire! Nous ne sommes plus sous les obus. Le canon gronde au loin. Nos troupes sont à 6 km. Départ de nos infirmiers, brancardiers et majors. Les adieux. M. le capitaine Balmitgère est à l'agonie. Je reçois des ordres pour l'inhumation par le commandant du service de santé. Arrivée de nombreux blessés qui étaient depuis 3 jours au Bordes! Aujourd'hui, il y en a 68.
                             
Lundi 14 Septembre - Sainte Messe à 6h½  - 7h, visite du général du Service de Santé du 16ème Corps qui désire savoir ce qui se passe à l'hôpital. 11h - Visite de M. Mirman, il me délègue pour établir les laissez-passer et me fait remettre le sceau de la mairie, me disant de m'en servir au besoin. Il est accompagné de sa femme et d'un officier de préfecture. 2 heures du soir - De nombreuses visites d'officiers supérieurs et celle de M. Miquillet et de M. le Sous Préfet de Lunéville. Ils me demandent le détail de ce qui s'est passé. Je lis sommairement ce que j'ai écrit, chaque jour. M. le Sous Préfet me dit d'acheter de la farine à Xermaménil, qu'il m'enverra le plus tôt possible 500 francs pour parer aux premiers besoins de Gerbéviller. M. le Préfet m'a remis 300 francs pour donner en  nature aux nécessiteux. M. le capitaine Balmitgère est décédé aujourd'hui à 4 heures du matin. Il sera inhumé au cimetière, dans un cercueil en chêne (ordre du colonel) Un de nos militaires prépare son cercueil, avec bien des difficultés, faute d'outils.

Mardi 15 Septembre - On s'occupe à recouvrir le toit. On cherche des tuiles, des chevrons, des poutres. Les obus cassaient tout en tombant. Gare aux gouttières! On s'empresse. Il commence à pleuvoir. Sœur Adeline, de Moyen, vient nous faire visite. La situation de nos sœurs de Moyen ressemble un peu à la nôtre. Sauf les incendies, car actuellement à Gerbéviller, il reste à peine 10 maisons habitables ; les pauvres ne veulent pas quitter leurs ruines, ils implorent notre secours. Nous allons voir le champ de bataille à 2 km de Gerbéviller. Quel spectacle, mon Dieu! Environ six à sept cents cadavres, en décomposition, morts depuis au moins trois semaines ; ils sont là, en ligne de bataille. J'ai même remarqué un malheureux défunt tenant encore son fusil en joue, avec ses mains crispées. Ces malheureux ont été livrés à la mort par un commandant félon qui a été fusillé par nos troupes.

Mercredi 16 Septembre - Les pauvres affluent et demandent du pain. On leur en donne. Le génie arrive avec 250 hommes pour enterrer les morts. Il faut les remuer avec un râteau et les rouler sur des brancards pour les porter dans des fosses. Tous ont été volés par les Allemands qui, dissimulés dans les bois, les ont tués avec leurs mitrailleuses, à bout portant. Quel spectacle! 4 h du soir - Enterrement de M. le Capitaine Balmitgère. M. l'abbé trop soufrant est obligé de garder le lit. Il faut se résigner à l'enterrer sans prêtre. Assistaient au convoi, 2 capitaines du génie, M. Liegey et de nombreux militaires de l'hôpital. M. le capitaine Azémar (?) a inventorié le portefeuille et l'a remis au lieutenant Salomon. L'alliance en or a été remise aussi. Les effets seront envoyés au dépôt militaire du 142, à Mende. Deux capitaines m'ont engagée à faire chercher de la houille chez M. Flarenois, ainsi que les fruits et les légumes du jardin. Un cheval, deux poulains et les voitures logés chez M. Rotacker seront à l'hôpital. C'est l'autorité militaire qui les a placés et qui va les réclamer à Rotacker.

Jeudi 17 Septembre - Sainte Messe. On s'occupe de rentrer la houille réquisitionnée par 2 officiers chez M. Florenois. Cueillette de fruits et de légumes. Distribution de pain aux pauvres. 200 environ. 11h - Visite de M. Chapuis, sénateur, accompagné d'un militaire décoré et attaché au ministère, dont je ne me souviens pas le nom. Ces messieurs ont déjeuné au parloir. Visite de M. le Préfet. Il me remet 500 francs pour acheter de la farine et a demandé à ce que je lui garde un objet d'art brisé de la chapelle du château. On l'a porté ce soir, il est placé au fond de la cave du vin.
                 
Vendredi 18 Septembre - De nombreux voyageurs demandent des laissez-passer. 205 pauvres demandent du pain et du lard. M. le curé de Séranville vient visiter et sœur Julienne aussi. Je fais un tour au potager pour faire cueillir les légumes nécessaires. Par autorité militaire, on requiert un cheval et le breack de M. Florenois. On transporte un blessé à l'épine dorsale, dont les jambes sont paralysées. Le commandant du 333 réclame les infirmiers déposés ici pour nous aider. M. le Préfet nous honore de sa visite. Madame nous remet 100 francs pour nos pauvres. Demain 19 de nos braves soldats partent, à l'exception de M. Bernard qui est malade. La brigade de gendarmerie constate l'état de M. Bernard et dresse procès-verbal que le sergent du 333 remettra au commandant.
 
Samedi 19 Septembre - M. l'abbé est malade. Messe à 8 heures. Nos soldats du 333ème régiment d'infanterie sont rappelés à Lunéville par M. le commandant Dabo. Plus d'infirmiers. 46 blessés ou malades : dysenterie, fluxions de poitrine, entérite etc…. A 2 heures du soir, deux majors arrivent. Avant la visite, ils vont sur le champ de bataille où les morts sont en putréfaction. Pluie torrentielle. Le toit, sommairement réparé, laisse rentrer l'eau dans les appartements Demande d'un couvreur au 92ème, c'est accordé pour demain. M. Trichaud, gendarme, chef de brigade, réquisitionne 4 femmes pour aider à laver le linge. Pour la 1ère fois, depuis le 4 Août, on peu faire la lessive. Pendant les hostilités, c'était impossible, à cause des obus qui étaient lancés continuellement et qui éclataient un peu partout. Par prudence, on n'allait pas au lavoir. Plus de 800 draps à laver….; Avant d'envoyer nos braves infirmiers et brancardiers, j'ai écrit une lettre de recommandations à M. le commandant Dabo, de Lunéville. J'espère que ces braves enfants ne seront pas inquiétés.
   

mise à jour:  mardi 12 février 2013Cliquez ici pour vous abonner à ce flux RSSPour me contacter: postmaster@st-antonin.fr